« Pour triompher, le mal n’a besoin que de l’inaction des gens de bien » E. Burke

On est vendredi soir.

Je suis un peu malade. ‘Fin pas dans mon assiette et les exams approchent. J’ai peur de me planter encore. Mon copain donne un cours de math à mon frère devant moi. Je n’arrive pas à lever mes fesses du canapé. Je dois lancer une machine. En me disant ça je tombe sur un article posté par l’AFP sur Facebook :
« Ce que je photographie est terrible, mais ce que je ne photographie pas est pire. » — Photographe de proximité, en Syrie »

Tiens, j’aurais bien aimé bosser pour l’AFP quelque part. Je clique. Une photo de frappe aérienne. Et puis d’autres photos. Un photographe sur place qui raconte l’horreur de ce qu’il a pris en photo et dit que le pire, c’est ce qu’il n’a pas pris.

Il y a cette petite fille, une partie du visage ensanglanté. Ce n’est pas son sang.

Je tape “abd doumany” dans google. Il a un Flickr. Je me dis que c’est bien un Flickr pour ce genre de choses. J’hésite à cliquer pendant une seconde. J’ai été militante. Je crois qu’on le reste. J’aimerais faire quelque chose. Pour les gens ici mais aussi ailleurs, on y réfléchit avec un ami d’ailleurs, où est-ce qu’on pourrait aller militer ? Une association. Mais laquelle ? Une avec laquelle on serait entièrement d’accord ? Ce n’est pas gagné. Mon dernier engagement militant a été un stage chez NPNS. C’était bien, j’ai été utile, très. J’ai détesté l’organisation de l’assoc’, les vieilles prises de positions, et l’absence de réaction d’aujourd’hui.

Il faudrait que je monte ma propre association. Ok mais pourquoi ? Pour qui ? Et puis d’autres font le boulot, disperser c’est bien ?

J’en sais rien.

Je clique.

Les photos sont belles, j’imagine. Elles sont surtout “réalistes”. En les regardant je me répète: ces gens existent, ces situations sont réelles.

Je crois que je devrais arrêter de regarder. Ce n’est pas du voyeurisme, c’est de l’angoisse. Je sais que ça existe, je n’en ai jamais douté, j’arrive à vivre avec. Mais j’oublie rarement. Comme cet après midi, j’étais dans un super marché. Des produits « du bled », des légumes et des fruits pas trop chers souvent. Autour de moi ces français qui ne sont plus vraiment des français depuis un mois. Un jeune barbu, avec des copains qui ne le sont pas (si j’ai bien suivit le bingo « radicalisation djihadiste » du gouvernement, il n’est pas encore dans la radicalisation puisqu’il a des copains) passe à coté de moi : « 8 ans le gosse quoi ! On marche sur la tête ! ».

Oui.

En regardant autour de moi je me suis demandé si cet endroit serait un jour attaqué dans l’indifférence générale par un groupe de FAF à coup de « dehors les arabes ».

Bref, Je regarde les photos. Un trou dans la jambe comme ça, c’est possible ?

C’est fou le sang, il n’y en a pas beaucoup et en même temps il y en a plein.

Tout ce malheur, toute cette douleur, cette injustice. Tout ça dans l’indifférence générale. Je culpabilise, dans mon mode de vie occidental, confortable. Je me dis que je devrais faire ça de ma vie. La dévouer aux autres, avant de commencer à faire des gosses, et de la leur dévouer de façon inconditionnelle et bien trop pesante, faute d’avoir pu « faire quelque chose ».

Je sais que seule je ne changerais pas tout, mais je sais que mon inaction, elle, permet tellement.

C’est de la panique que je ressens : je dois faire quelque chose avant qu’il ne soit trop tard. Pour moi. Pour eux, il ne le sera jamais, parce qu’après la guerre, il y a l’après guerre, et que dans cette partie du monde, l’après guerre, c’est la guerre.

Les morts ont l’air de dormir. J’ai beau me répéter : « cette gamine est morte » il y a quelque chose de lointain dans l’image. Peut être qu’on en a trop vu. Des vrais, des faux. Comment on peut finir par « s’y faire » à ce point ?

Tiens, ce type qu’on enterre me fait penser à mon cousin.

Je ne me coucherais pas ce soir sans revoir cette flaque de sang. D’ailleurs, c’est une flaque ou une mare ? Une étendue ? Beaucoup ?

Sources :
Article AFP
Flick de Abd Doumany

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